Les gestes du sommeil
Surprise par la douleur, comme si on lui arrachait des cheveux, elle se réveilla à trois ou quatre reprises. Mais s’apercevant que des boucles de ses cheveux noirs s’enroulaient autour du cou de son amant, chaque fois elle souriait en songeant aux paroles qu’elle prononcerait le matin venu : « Tu vois comme mes cheveux sont longs ! Quand on dort ainsi, ils s’allongent vraiment ! » – et elle refermait les yeux, rassérénée.
— Je ne veux pas que tu dormes ! Pourquoi faut-il que nous dormions, nous aussi ? Dormir, alors que nous nous aimons tant ! s’était-elle écriée, perplexe, à l’époque où, enfin, ils n’avaient plus été obligés de se séparer.
— Ma réponse, c’est que si des êtres peuvent s’aimer, c’est bien aussi parce qu’ils savent dormir. L’amour sans sommeil, ça m’effraie rien que d’y penser. C’est même diabolique.
— Tu plaisantes ! Je te rappelle qu’au début on ne dormait jamais ! Il n’y a rien de plus égoïste que le sommeil !
Telle était la pure vérité. Peu après s’être endormi, les traits déformés par une grimace, il retirait le bras qu’il avait passé sous son cou. De son côté, elle s’endormait en l’enlaçant, mais, quand elle se réveillait soudain, c’était pour s’apercevoir qu’elle avait relâché son étreinte.
— Dans ce cas, tu vas attacher mes mèches autour de ton bras et bien les tenir.
Puis elle enroula autour de son propre bras la manche de son kimono, qu’elle tint serré dans sa main – pourtant le sommeil venait dérober la force de ses doigts.
— Alors, suivant les conseils des anciens, je vais t’attacher avec une corde tressée de mes cheveux, dit-elle.
Elle fit des anneaux de ses cheveux noirs et les passa autour de son cou.
Il rit néanmoins des paroles qu’elle lui adressa au réveil :
— Tes cheveux sont plus longs ? Voyons, ils sont si emmêlés que tu ne peux même pas y passer un peigne !
Au fil des jours, au fil des mois, tout cela fut oublié. Elle finit même par s’endormir en oubliant qu’il était à son côté. Mais quand elle s’éveillait soudain, sa main, toujours, effleurait son corps. Et son bras à lui était posé sur elle. Ainsi avaient-ils pris l’habitude de dormir, alors qu’ils ne songeaient plus à ces gestes.